L’alchimiste se dit « philosophe de la nature ». Lier l’architecture à la nature est donc indispensable ; le lieu qui scelle cette union est le Mont-Saint-Michel, au péril de la mer…
Ce mont, c’est d’abord la mer, le roc et le sable. C’est aussi le vent… Eau, terre et air se conjuguent autour du Mont. Mais où est le feu ?
C’est très simple : le feu, c’est Saint-Michel et son épée flamboyante. Au sommet de l’abbaye, elle agit comme un paratonnerre, prête à capter le feu du ciel.
Saint-Michel, à l’aube, tout en haut de la flèche du mont
est salué par les oiseaux
L’abbaye toute entière est ici un labyrinthe, un voyage d’élévation en plusieurs étapes. On commence par la mort : le premier nom du mont : le « Mont Tombe ». Et par la première église du mont : Notre-Dame sous Terre, comme à Chartres.
Patrick Burensteinas se met en contact
avec les énergies telluriques de Notre-Dame sous terre
Une chapelle du Haut Moyen Age, constituée de grosses pierres ; elles captent l’énergie, l’âme du célèbre rocher qui est le socle de l’abbaye ; Notre-Dame sous Terre illustre à merveille la formule alchimique d’un moine du XV° Siècle, Basile Valentin : « Vitriol ». Ce « vitriol » n’est pas le produit chimique et dangereux qu’on connaît aujourd’hui, c’est l’acronyme d’un adage latin : « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem » : « visite l’intérieur de la terre, en rectifiant tu trouveras la pierre cachée » …
Traité d’alchimie de Basile Valentin, moine bénédictin du XV°siècle.
Illustration du « vitriol »
La Pierre cachée ? La Pierre Philosophale sans doute…. Bien gardée par la Vierge noire… à qui semble dédiée cette chapelle devenue souterraine par le jeu de l’empilement des constructions successives de l’abbaye…
Une ancienne partie de l’abbaye, encore très sombre…
Mais en visitant la chapelle de Notre-Dame sous Terre nous n’avons pas trouvé la pierre cachée…à moins qu’elle ne soit en nous…
Le Mont-Saint-Michel nous invite à nous connaître nous-même dans nos régions les plus souterraines… où gît le feu d’en bas, pour s’élever…
Il s’agit de monter les différents étages de ce mont Saint-Michel. La crypte dit des « gros piliers » nous met en contact avec la résonnance du monde, sinusoïdale comme le trajet des pèlerins du labyrinthe de Chartres, ou la berceuse qu’on chante à un enfant pour l’apaiser en le reliant à l’oscillation du monde.
Plus on avance dans le Mont plus on approche de la lumière…On traverse une salle plus lumineuse, la salle des Chevaliers qu’on suppose être le scriptorium : les moines y recopiaient des textes antiques, comme ceux du philosophe romain Boèce : dans son Traité de la théorie musicale, il montre que la musique est une force qui soutient tout l’univers et entretient l’harmonie des sphères planétaires… Les moines recopiaient aussi les textes d’Aristote ou le Timée de Platon avec des illustrations particulières, en latin, en hébreu, en arabe : elles évoquent l’alchimie en rapportant les sept planètes aux sept métaux…
L’architecture elle-même montre la tension entre lumière et matière avec l’étrange clarté du réfectoire qui semble sortir de la pierre…
Le mur du réfectoire en dissimulant les ouvertures vers le jour,
laisser penser que la lumière sort de la pierre
La portée alchimique du Mont s’affirme clairement avec les sculptures du cloître : des dragons rattachés à la terre par leurs pattes crochues et aspirant au ciel par leurs ailes… Quant au sol du choeur de l’abbatiale, il est pavé de couleurs noires, blanches et rouges, les trois couleurs de l’Oeuvre…
La restauration du pavement de la nef de l’abbatiale
semble avoir retrouvé les trois couleurs de l’œuvre. Hasard ?
En sortant de l’abbatiale, on est face au ciel. D’innombrables oiseaux tourbillonnent autour du Mont : ils nous disent que les alchimistes parlent la « langue des oiseaux », la langue « légère » …
Cette « langue » donne quelques secrets de l’Oeuvre : des jeux de mots, avec les sonorités de syllabes assemblées différemment, font entendre d’autres significations qui parlent aux alchimistes… Mais ces jeux sur les mots s’appliquent aussi aux lettres : ainsi l’or (o+r) des alchimistes serait-il composé d’eau et d’air, de l’eau cachée dans l’air… trouvée à l’aurore, or-or… l’heure de la rosée ?
Le mont à « l’heure-or »… L’eau et l’air s’assemblent à la lumière du soleil
La langue des oiseaux fait apparaître un sens alchimique dans l’opéra de Mozart La Flûte Enchantée : Tamino rencontre un oiseleur, Papageno : il connaît, bien sûr, la langue des oiseaux… Ce n’est pas qu’une simple spéculation : le modèle du personnage de Sarastro dans La Flûte Enchantée est Ignaz Von Born, un célèbre minéralogiste et alchimiste viennois, ami de Mozart…
De même, dans la Tétralogie de Wagner, le héros Siegfried, après avoir trempé son doigt dans le sang du dragon Fafner, comprend tout d’un coup les conseils que lui confient les oiseaux de la forêt par leurs chants devenus transparents… Siegfried devra franchir un anneau de feu pour délivrer de son sommeil la vierge Brunehilde, image de la matière première dans l’athanor ?
De nombreux dragons ornent le déambulatoire du cloître
Ainsi nous éclairent les oiseaux et les dragons du Mont Saint-Michel. Ils inscrivent l’alchimie dans toute une tradition légendaire et culturelle que le psychanalyste C-G Jung a su déchiffrer…
Lieu réel et légendaire… La marée et ses chevaux blancs viennent entourer le rocher à la tombée de la nuit… Comme les sables mouvants, le monde semble s’ouvrir vers des horizons inconnus…
L’eau et le sable se mélangent à la marée montante
L’alchimie n’est pas qu’une simple manipulation chimique… Elle développe toute une pensée du monde…
Ce que va nous préciser l’étape de Rocamadour…